La « Madeleine bleue » d’Olivier Guez - Racing Club de Strasbourg Alsace
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30/11/2017

La « Madeleine bleue » d’Olivier Guez

Le coup d’envoi fictif du match Racing-PSG, aux côtés de Sophie Breton (Directrice Générale d’Hager Group), sera donné samedi par Olivier Guez. Grand supporter du Racing, l’écrivain strasbourgeois, qui vient de recevoir le Prix Renaudot 2017 pour son livre « La disparition de Josef Mengele », a accepté de rédiger ces quelques lignes, véritable ode à son club de cœur.
Ce devait être en août 1982. Mon père m’emmenait au stade de la Meinau pour la première fois. Il était temps : j’avais découvert le foot quelques mois plus tôt, dans la cour de récréation, une balle de tennis aux pieds, comme les gamins des favelas, puis exploré le Mundial espagnol devant le téléviseur de mes grands-parents (quel Mondial, un premier Mondial conditionne toute une vie de supporter : le carré magique français, la plus belle équipe brésilienne de tous les temps (Zico, Socrates, Eder, Falcao), les ruses de Paolo Rossi, les boucles noires de Maradona et de Breitner…) et je trépignais d’impatience, je voulais, je devais aller au stade, découvrir le Racing et son antre magique. J’avais huit ans.
En fait, j’aurais aimé en avoir trois ou quatre de plus ou alors embarquer à bord d’une fusée qui remonterait le temps, un court voyage, trois ans seulement, pour devenir champion de France 1979, au lieu de compulser chaque soir l’album du titre que ma mère m’avait déniché chez un libraire d’occasion.
Bon, j’avais huit ans, et ce soir d’été 1982, Strasbourg affrontait l’AJ Auxerre. Mon cœur battit très fort en découvrant les gradins, la pelouse à mes yeux gigantesque, les maillots bleus à liserés blancs Adidas frappés d’une cigogne et de la cathédrale et, merveille des merveilles, le stade était baigné par une délicieuse odeur de chocolat, comme dans mon livre favori, Charlie et la chocolaterie. A l’époque, une usine Suchard fumait à la Meinau. Immédiatement, je reconnus quelques-uns de mes héros, les champions de France encore au club, Dropsy, Deutschmann, Piasecki. Mais les enfants sont versatiles et comme j’adorais les vikings, le milieu danois Carsten Nielsen devint mon joueur préféré ce soir-là.
Trente-cinq ans plus tard, je ne me rappelle de rien ou presque de cette grande première, sinon que la rencontre fut terne et que le Racing perdit, sur un but du Polonais moustachu le plus célèbre de l’époque, après Lech Walesa, le redoutable Andrzej Szarmach.
Il n’empêche, une longue histoire d’amour débutait. Je suis allé voir des dizaines et des dizaines de match à la Meinau. Pêle-mêle, je me souviens des tenues révolutionnaires dessinées par Daniel Hechter qui relancèrent la mode des shorts longs (qui relancera les shorts courts ?), de la German connexion de la fin des années 80 (Rolf, Allofs, un buteur d’ex-RDA dont j’ai oublié le nom…), de la nuque longue de Monczuk ; je souris en pensant aux éclairs du jeune Djorkaeff, à la montée en 1992 (la raclée encaissée par Rennes dans la Meinau en fusion), aux formidables joueurs des années 90 (Leboeuf, Sauzée, Dacourt, Keller, Mostovoï, Mostovoï !), aux matchs de coupe d’Europe contre Liverpool et l’Inter de Milan… Ensuite, j’ai quitté Strasbourg mais jamais cessé de suivre les prouesses et les déboires du club, trop de déboires, de descentes, de gestion calamiteuse – j’espère qu’un jour, on m’expliquera les dessous de la décennie 2000, comment le Racing a failli disparaître.
Qu’importe, aujourd’hui, le Racing est de retour dans l’élite sous la sage et ambitieuse présidence de Marc Keller. J’étais au stade contre Bourg-en-Bresse, en mai dernier, le soir de la montée. Et j’ai ressenti le même plaisir qu’en août 1982, les mêmes émotions que le petit garçon venu assister à son premier match aux côtés de son père.
Il n’y a plus de chocolaterie à la Meinau mais le Racing est toujours là : c’est formidable.
Olivier Guez