La note de Léo - Racing Club de Strasbourg Alsace
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24/12/2019

La note de Léo

Le conte de Noël

Léo marche lentement vers la maison. Le vent gifle sa figure. Il s’enfonce dans la nuit qui vient. Il sait ce qu’il attend. À 7 heures, papa va rentrer du boulot. Fatigué d’une longue journée sur les chantiers. Léo n’a ni frère, ni sœur. Il a dix ans. Une bonne bouille, des cheveux qui tombent en baguettes, des yeux tout bleus. « On dirait la mer » se réjouit parfois sa maman, née à Marseille, tombée amoureuse de son papa, un soir du 14 juillet. Elle était venue à Strasbourg avec des copines pour les vacances. C’est arrivé dans un endroit où les gens dansent. Papa a renversé un verre sur la robe de maman. Il a juste dit « Hopla ». Depuis, Léo sait que Hopla est un mot magique qui fait tomber les filles. Quand il sera grand, il essaiera.

Dans le cartable, le bulletin trimestriel pèse des tonnes. Pas une catastrophe, non ! Mais une moyenne générale de 9,5 qui dit la fin de son rêve. Il croise le gentil monsieur noir qui habite le joli immeuble d’en face. Celui qui sourit tout le temps. « Ça va Léo ? Tu en fais une tête ! ». Quand Léo joue au foot avec les copains, sur la place, le monsieur s’arrête parfois. Il fait des passes avec eux et jongle un peu. L’autre fois, il a montré comme on doit donner la balle. « Comme ça, avec l’intérieur du pied, c’est plus précis ». Il porte un survêtement bleu. On croirait une cigogne et une église dans le rond sur le cœur de la veste. C’est écrit RCS.

« Alors ? » dit maman. Léo tend le bulletin, les larmes aux yeux. En bas, le maître a écrit : « Malgré ses efforts, Léo n’atteint pas la moyenne. Il ne doit pas se décourager ». « C’est gentil, ça » murmure maman en lui passant la main dans sa tignasse. Plombé par le calcul comme toujours. « Un putain de 2 qui fout la merde » crie soudain Léo. « Tu parles pas comme ça » réplique maman. « Oui bon, mais papa, lui, il a le droit ». « Papa, c’est papa ».

À l’école, Léo est pourtant le seul à savoir qu’une différence de buts ce n’est pas la même chose qu’un goal-average. Le monsieur noir lui a expliqué. « Le goal-average, c’est le chiffre que tu obtiens en divisant le nombre de buts marqués par le nombre de buts encaissés ». La belle affaire. L’autre soir, son père a montré le classement du Racing : « Tu vois, 21 buts marqués, 15 buts encaissés, ç’est quoi le goal-average ? ». « 14 » a fièrement répondu Léo. « Tu as encore oublié la virgule ».

Papa est rentré. Il a pris sa douche. Il n’a pas soufflé un mot pendant le repas. Au début de l’année scolaire, il avait promis : « Si tu as la moyenne, si tu as un 10 à Noël, nous irons tous ensemble voir un match à la Meinau. On prendra trois belles places, au milieu ». Léo est triste. Maintenant, dans son lit, il pleure vraiment. Des perles lourdes, chaudes, une cascade qui n’en finit pas. Papa et maman ont sûrement économisé pour ça. Ils ne vont plus jamais au cinéma. Ils ont même renoncé au restaurant une fois par mois. Il aurait suffi d’un 10. Pour « mettre du beurre dans les épinards », comme elle dit, maman va faire des ménages chez le monsieur noir. Elle raconte que sa dame est très gentille aussi.

Le repas est terminé. Papy et Mamie sont venus. C’était simple. Une viande, de la purée, une bouteille de vin, une bûche que Mamie a faite. À côté de la télé, il y a un petit sapin. Un Noël comme les autres. « Tu chantes Petit Papa Noël ? » demande Papy. Léo n’y arrive pas. À minuit, quelqu’un sonne à la porte. Maman va ouvrir. Léo n’en croit pas ses yeux. Un homme grand, dans un manteau rouge, avec une barbe blanche apparaît. On dirait un géant. Ses yeux ont la couleur du charbon. « Tu es Léo ? ». Un drôle d’accent. Léo est comme une statue, incapable de bouger. L’homme grand se penche. « Tiens, c’est pour toi. Tu ouvriras quand je serai parti ». Léo regarde ses mains, étonné.

C’est une enveloppe. Papy, mamie, papa, maman ont les yeux rivés sur Léo. Le petit garçon ouvre l’enveloppe. Il en sort trois feuilles de carton rectangulaires. Il lit, d’une voix étranglée : 7 mars. RC Strasbourg-Paris SG. Places VIP. Salon des Présidents. Il relève la tête. Le sourire de maman, aussi beau, aussi illuminé que le Vieux Port un matin d’été. Papa qui s’approche, prend Léo dans ses bras : « Hopla ».

Léo ne dort pas. Il aura au moins 10 de moyenne au prochain trimestre et mettra la virgule où il se doit, c’est juré. Il a posé les billets à côté de l’oreiller. Quand le grand monsieur au manteau rouge est parti, il a entendu sa maman lui glisser doucement : « Merci beaucoup Monsieur Lebo. Bonne fête à vous et à votre dame ». Léo s’endort enfin. Personne ne lui avait jamais dit que le Père Noël était noir.